Le Parisien

Edition de Lundi 30 octobre 2000

U2 renoue avec le rock

par SEBASTIEN CATROUX

SERAIT-CE le temps de la rédemption pour U2 ? Avec « All That You Can't Leave Behind », son dixième album, qui sort aujourd'hui, la formation irlandaise semble faire machine arrière après des albums teintés de sonorités électroniques (« Achtung Baby », « Zooropa », « Pop »), systématiquement enchaînés avec des tournées monumentales. Ici, juste des chansons, onze au total, où la voix de Bono, chanteur et leader du groupe, est très en avant. Des mélodies où les guitares dominent. Une sorte de suite à « Joshua Tree », l'album qui, en 1987, les a consacrés groupe majeur de la décennie, capable d'envolées lyriques, de romantisme. Un retour aux sources où l'on retrouve quatre musiciens en studio avec seulement, ou presque, une batterie, une basse et une guitare. Le guitariste David Evans, 41 ans, alias The Edge, était à l'origine de l'évolution récente du groupe. C'est lui qui, au début des années 90, avait initié U2 à la techno et à la dance. « Elevation », le troisième titre de ce nouvel album, est, à l'entendre, un parfait hymne de stades : « Cette chanson possède vraiment, pour moi, l'énergie du meilleur rock'n'roll. C'est crâneur, insolent et je crois que sur scène, ça va vraiment fonctionner. » U2 ne veut plus rien réinventer. Juste retrouver le rock là où il l'avait laissé il y a une dizaine d'années. A propos de « Beautiful Day », le premier single extrait de l'album, The Edge renchérit : « C'est du rock'n'roll, la musique d'un groupe qui vole en formation serrée, avec cette tension qui peut exister entre différentes personnalités. C'est ça, le son de U2. »

Esprits supérieurs
Né à la fin des années 70 en queue de comète du mouvement punk, U2 a dénoté, dès le début des années 80, par un son brut qui tranchait avec les mièvreries de la plupart des productions rock de l'époque. Mais, dans ce nouvel album, c'est aussi l'intimité qui domine. Avec de nombreuses balades, où la voix de Bono donne une dimension héroïque, voire prophétique, aux compositions du groupe. Sur le titre « In the Little While » ­ qui rappelle irrésistiblement les Rolling Stones période « Exile on Main Street », véritable catalogue de la musique américaine, sorti en 1972 ­ sa voix est soudain cassée, voilée. The Edge se souvient : « Après une longue nuit passée dehors, en ville (NDLR : « All That You Can't Leave Behind » a été intégralement enregistré dans le studio du groupe, à Dublin, en Irlande), on a commencé à travailler. Dans le timbre de Bono, on sent les effets de l'orgie, de la fatigue mais aussi, quelque part, d'esprits supérieurs. » Les esprits supérieurs, Bono, 40 ans, aime à les côtoyer depuis longtemps, surtout vivants. Entre deux rendez-vous avec l'écrivain Salman Rushdie, le bluesman BB King, le pape Jean-Paul II, le président Bill Clinton, le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan ou le ténor Luciano Pavarotti, il défend, avec une belle énergie, une nouvelle cause : l'annulation par les pays riches de la dette du tiers-monde. En attendant, U2 se prépare à remonter sur scène, dès mars 2001, aux Etats-Unis. U2, « All That You Can't Leave Behind » (Disques Island). Prix : 120 F.