L'INTERVIEW DE U2 SUR 2FM TRADUITE EN FRANCAIS

Quand tu as enregistré un disque auquel tu crois, quand tu as écrit des chansons auxquelles tu crois, une grande partie du travail est déjà fait.  Après, tu rentres sur scène, tu joues les chansons, tu t'éclates...  Alors que dans le passé, c'était plus dur.  On écrivait les chansons au fur et à mesure, les arrangements n'étaient pas au point, on modifiait des trucs pour que tout soit parfait...  Cette tournée sera différente, on n'aura pas ces problèmes là.  Et en plus, on va jouer dans salles plus intimes au lieu des stades.  On va carrément voir le public dans le blanc des yeux.  Ca faisait longtemps qu'on n'avait pas fait ça.  On l'avait fait pour la tournée Achtung Baby, mais elle n'avait duré que deux ou trois mois.  Là on va être en tournée pendant un an dans des salles.  Ca va être dur de commencer, mais on est impatients d'y aller.  Le disque est bon, donc le spectacle va être bon aussi.  On a déjà enregistré les chansons ensemble, en tant que groupe, donc on peut les jouer n'importe où ensemble maintenant.

Les gens seraient étonnés s'ils voyaient comment on enregistre, le bordel qu'il y a.  On dirait que, après tout ce temps, on aurait trouvé un système, mais...  Mais c'est encore, comme le disait Quincy Jones, on est là à attendre que dieu débarque pour nous sortir de la mouise...  Notre idée pour cet album, c'était de tout régler à l'avance.  On avait entendu un documentaire à la BBC sur Motown, et comment ils passaient des semaines à travailler les chansons, les paroles, les arrangements, etc. pour produire tous ces grands classiques.  Et ils ne passaient que quelques heures dans le studio pour chaque chanson, parce que c'était ça qui coûtait le plus cher - faire venir des musiciens, faire venir tout le matos...  Alors, c'était notre approche aussi pour ce disque.  Et je dirais qu'on y est arrivé pour 70% de l'album, c'est comme ça qu'on a travaillé.  Mais à la fin, on commençait à se dire, 'cette chanson ressemble à quelque chose d'écrit, ce n'est pas ça qu'on fait, ou alors c'est par hasard'.  Donc on a commencé à improviser, et à partir de ces improvisations, on a créé des chansons comme New York ou In A Little While.  On a écrit In A Little While en quelques minutes.  C'est plutôt comme ça qu'on aime travailler... de manière bordélique.
Je parlais de ça avec Chrissie Hynde des Pretenders.  Je lui expliquais que je détestait entendre ma propre voix à la radio.  Elle m'a demandé ce que je n'aimais pas.  Je pense que c'est que je me trouve coincé à la radio.  Alors, elle m'a dit, 'est-ce que tu connais tes chansons quand tu les joues?'  Je lui ai expliqué que souvent j'écris mes chansons quelques minutes seulement avant de les enregistrer, ou carrément devant le micro...  Donc elle m'a dit, 'fais-toi plaisir, en tant que chanteur, il faut connaître tes chansons à fond avant de les chanter'.  Donc sur cet album, je n'ai pas travaillé comme ça, sauf pour New York, In A Little While, et pour Grace.

Moi, je déteste être en studio.  Je préfère de loin être en tournée.  Je ne sais pas si les autres seraient d'accord...  Mais on passe un an, un an et demie dans un studio à enregistrer de la musique, entassés les uns sur les autres, sans jamais voir de filles, en mangeant n'importe quoi...  Et puis on finit enfin, on écoute la version finale, et tout est en place.  Et au petit matin tu écoutes la bande, et tu te dis, là, on aurait pu faire comme ça, mais il est trop tard pour revenir là-dessus, tu te dis, 'merde, là il va falloir sortir en tournée, rencontrer les journalistes, vendre le disque...'  Mais ça change d'un disque à l'autre.  En général, je trouve que le studio n'est pas un lieu de travail amical.  Il y a souvent des désaccords etc.  C'est pour ça que les chanteurs se lancent dans des carrières solos, parce que la fierté en souffre moins dans le studio!  Mais dans un groupe...  Surtout quand tu penses que nous, on a grandi ensemble.  Alors c'est sans merci entre nous.  Untel travaille pendant deux jours pour créer un son que personne n'a jamais utilisé, et on lui dit que ce n'est pas sans rasion que personne ne s'en sert...  On est très durs les uns avec les autres.  Mais en live aussi.  Quand quelqu'un merde sur scène, tu peux être sûr qu'il y aura du sang sur le tapis après...

Beautiful Day, c'est une sorte de Haïku.  Je voulais écrire une chanson sur une expérience personnelle, et sur une personne en particulier qui était vraiment déprimée, au plus bas.  Elle a décidé de tout plaquer, et c'était comme un poids qu'on lui enlevait...  Il travaillait dans l'informatique, et n'était pas sorti dehors depuis des années.  Il on lui avait trouvé un cancer, donc il a décidé de tout laisser tomber, en se disant, 'il fait vraiment que je change de vie...'  Donc il a commencé à sortir, à rencontrer des gens, et il trouvé ça génial.  Du coup, son cancer a disparu...  Donc il a découvert une sorte de liberté en se rendant compte qu'il n'avait pas besoin de tout ce qu'il avait avant...

Ca faisait un peu de temps qu'on n'avait pas travaillé ensemble.  On était parti dans des sens différents, et on avait trouvé qu'on pouvait faire des trucs seuls...  Seul, tu es maître de ce que tu fais.  Mais quand on s'est retrouvés, on faisait de nouveau partie du groupe.  Là, tu n'est plus le chef...  Mais en ce qui me concerne, je ne m'imagine pas ma vie sans le groupe.  Le boucan me manquerait!  Je serais comme perdu.  Parfois ma famille me dit, 'quand est-ce que tu vas quitter cette vie d'ado?'  Mais je ne suis pas d'accord.  Quand je regarde mes amis qui vieillissent, ils ont de moins en moins de vrais amis, alors que moi je rencontre toujours des gens passionnants.  Il faut du courage pour continuer dans cette vie.  C'est de plus en plus dur de rester frais.  C'est pour ça que notre grande idée pour cet album, c'était ne pas avoir de grande idée.  On a eu beaucoup de grandes idées aux années 90, et la mégalomanie n'était jamais loin.  Plus grand est le noeud coulant, plus grande sera la tête qui s'y glissera...  Ca nous plaisait de nous demander ce que ferait Andy Warhol à notre place... de travailler avec des DJ, de déconstruire les années 80, d'abattre le Joshua Tree, comme on disait.  Nos idées venaient de là.  Et les chansons venaient des idées.  Mais là, c'est les chansons qui mènent le tout.  On s'est dit qu'en l'an 2000, il était trop tard pour faire le malin, pour porter des lunettes noires.  Là, on est francs.  Et j'ai l'impression que tout le monde est franc aujourd'hui, dans toutes les conversations que tu peux avoir dans la rue ou dans les bars...  C'est le moment de parler vrai, et ces chansons parlent vrai.  Elles parlent de nous, de nos expériences...

Ca paraît suffisant de le dire comme ça.  C'est vrai qu'avant, j'aimais bien les pantalons PVC et les lunettes noires.  Ca me permettait de garder mes distances.  Je ne peux pas chanter si les gens sont trop proches...  Je veux dire, je chante carrément faux si je ne suis pas complètement dans la chanson.  Il n'y a pas d'ironie dans ce que je chante.  Mais j'aimais bien l'ironie pendant les tournées, ou simplement quand je sortais boire un verre.  Quand on dépensait $250.000 par spectacle, et qu'on risquait la ruine à tout moment, les lunettes noires, toute l'image de la rockstar, ça me soulageait.  Le personnage de Bono des années 80 essayait de vivre comme dans les chansons.  Mais je ne peux plus faire comme ça.  J'aime bien sortir pour une soirée sans avoir de ces conversations intenses tout le temps.  Je veux discuter vrai.  Mais c'est vrai qu'on s'est éclatés pendant les années 80 - les médias, l'iconographie, etc.  C'était comme une grande fête foraine pour nous.
Mais cet album, c'est sûr que c'est le plus honnête pour nous.  Les chansons correspondent vraiment à là où on se trouve aujourd'hui.  Je veux dire, la soul de Stuck In The Moment You Can't Get Out...

Je crois que toutes les grandes musiques ont un rapport avec dieu.  Soit les chanteurs courent vers dieu, soit ils essayent de courir dans l'autre sens...  Quand on a commencé à nous intéresser à la musique gospel, c'était à une époque où on ne pouvait pas parler de dieu ou de sa foi.  Ce n'était vraiment pas cool, on nous descendait pour cela.  Mais on se disait, 'tous les chanteurs qu'on adore ont un rapport avec la musique gospel - Marvin Gaye,  Bob Marley, Bob Dylan...' tous nos héros.  Ou alors, ils partaient dans l'autre sens, vers le vaudou etc.  Mais dieu faisait toujours partie de l'équation.  Mais je trouve l'étiquette  gospel flatteuse.  Mais la musique soul, la musique de l'âme, c'est peut-être une meilleure description de ce qu'on fait sur ce disque.
L'aventure pop après Rattle'n'Hum était peut-être plus 'facile'.  J'adorais jouer avec la technologie, et elle permettait d'améliorer les sons que je produisais, mais cette fois, il y a plus de vraies émotions.  Avant, on ne travaillait pas du tout sur le même plan.  Il y a beaucoup de gens qui travaillaient comme ça, plus de concurrence.  Et il y en a encore aujourd'hui...

Retour au sommaire

(c) 2000 U2FAN